« Jean-François Bussières, pharmacien et Grant Mitchell, médecin, ainsi que le groupe québécois d’étude sur le NTBC Québec Pharmacie vol. 45, n 4, avril 1998 »
Le 2-(2-NITRO-4-TRIFLUOROMÉTHYL-BENZOYL)-1,3-CYCLOHEXANEDIONE a été développé par ICI Pharmaceuticals comme herbicide au cours des années 1980.
Le développement du produit a été abandonné lorsqu’un effet biologique résultant d’une inhibition sélective de la voie de dégradation de la tyrosine et de la phénylalanine a été constaté chez les mammifères.
Depuis, il a été employé pour traiter les enfants atteints de la tyrosinémie hépatorénale avec un succès apparemment remarquable pour la période étudiée.
Le NTBC a été désigné médicament orphelin (catégorie de médicaments se définissant par le faible nombre de patients auquel le médicament est destiné) sur le marché américain en vertu de L’Orphan Drug Act en mai 1995 et est offert au Québec par le fabricant Orphan Pharmaceuticals USA depuis décembre 1996 (1, 2).
Le NTBC ne fait donc partie d’Aucune liste provinciale de médicaments.
Au Québec, les soins et services pharmaceutiques liés aux achats et à la distribution du NTBC sont effectués à l’heure actuelle par le département de pharmacie de l’Hôpital Sainte-Justine selon une entente avec le programme de médicaments d’urgence de la Direction générale de la protection de la santé.
L’objectif du présent article est d’illustrer la problématique des maladies et des médicaments orphelins en regard de la place du NTBC et des enjeux du traitement de la tyrosinémie de type I pour le patient, le pharmacien et le système de santé.
Contexte clinique
Métabolisme
La tyrosine est un acide aminé qui provient de la diète et de l’hydroxylation de la phénylalanine. Il existe plusieurs causes non génétiques menant à l’hypertyrosinémie. L’augmentation transitoire du taux de tyrosine n’évoque pas d’emblée un désordre héréditaire lié à la tyrosine (3, 4).
La figure I montre la voie de dégradation de la phénylalanine et de la tyrosine ainsi que les maladies associées à la déficience de chaque étape du catabolisme. La diversité de la symptomatologie associée à des maladies dues à la déficience d’étapes adjacentes témoigne de la complexité de la physiopathologie de ces maladies. Les trois types d’hypertyrosinémie ont tous une faible incidence, sauf pour certains isolats génétiques (3, 4).
Tyrosinémies de type Il et III
Une déficience à transmission autosomique récessive en tyrosine aminotransférase (TAT) mène à la tyrosinémie de type II ou oculo-cutanée, un désordre caractérisé par des érosions cornéennes (larmoiement, rougeur, douleur, photophobie), une kératose palmoplantaire non prurigineuse et, chez 50 % des patients, un retard de développement. Par ailleurs, on pense que les taux élevés de tyrosine mènent à la formation de cristaux de tyrosine dans les cellules épithéliales de la cornée. Les symptômes oculaires débutent généralement après la première année de vie (l’écart variant toutefois de 1 mois à 38 ans). Le traitement repose sur une diète stricte de manière à limiter les apports de tyrosine et de phénylalanine. Le type II est plus fréquent en Italie mais il peut survenir peu importe l’origine ethnique (4).
Une déficience héréditaire en acide 4-hydroxy-phénylpyruvate dioxygénase (pHPPD) mène à la tyrosinémie de type III. La symptomatologie de l’hypertyrosinémie de type III n’est pas bien connue car il y a peu de cas décrits dans la documentation scientifique ; certains patients présentent des signes neurologiques et d’autres se comportent normalement.
On n’a pas établi avec certitude la relation entre les troubles neurologiques et la présence d’hypertyrosinémie de type III. Deux maladies transitoires à présentation néonatale, le Hawkinsinurie et la tyrosinémie transitoire du nouveau-né, sont causées par une dysfonction de pHPPD. Ces désordres causent des complications métaboliques (ex. : acidose) et parfois neurologiques qui peuvent être corrigées partiellement par une diète réduite en protéines et par l’administration d’acide ascorbique (jusqu’à 1 g/jour)(4).
Tyrosinémie de type I
Une déficience en fumarylacétoacétate hydrolase (FAH) mène à la tyrosinémie de type I ou hépato-rénale (HT1), un désordre à transmission autosomique récessive grave qui est fatal sans traitement médical ou chirurgical: il est souvent diagnostiqué chez l’enfant (2, 6). La physiopathologie de l’HT1 est traitée dans la légende de la figure 1(7).
L’incidence de l’HT1 est de 1(100 000 à 1/120 000 naissances vivantes dans le monde, comparativement à 1/17 000 naissances vivantes au Québec et à 1/1 846 naissances vivantes au Saguenay Lac Saint-Jean, où le taux de porteurs est de 1/20. Le risque d’avoir un enfant atteint, pour un couple porteur, est de 25 % à chaque grossesse(2, 4, 6, 8). Avant 1970, la détection de l’HT1 reposait sur les signes cliniques; depuis, le réseau de génétique médicale du Québec a implanté un programme de dépistage néonatal. La méthode actuelle permet de mesurer le taux de succinylacétone dans le sang grâce à un échantillon prélevé sur papier buvard au cours de la première semaine de vie. Une méthode récente d’utilisation du succinylacétone à titre de première ligne comme dépistage de la tyrosinémie est en cours d’évaluation. Jusqu’à maintenant, cette méthode a montré une sensibilité sans faille. Un diagnostic prénatal peut être fait en mesurant le succinylacétone dans le liquide amniotique prélevé dès la 13e semaine de gestation (2, 4, 9).
L’HT1 est une maladie grave qui touche principalement trois organes soit le foie, les reins et les nerfs périphériques. Le patient non traité ou qui suit uniquement une diète présente habituellement des crises hépatiques aiguës souvent après une infection mineure. L’enfant est maussade et les tests de fonction hépatique sont perturbés (prolongation des tests de coagulation, augmentation marquée des taux d’alphafœtoprotéine et augmentation fréquente des transaminases, alanine aminotransférase [ALT] et aspartate aminotransférase [AST]. La majorité des crises s’estompent spontanément à la suite d’un traitement symptomatique et d’une surveillance aux soins intensifs. Certaines crises évoluent vers une insuffisance hépatique fulminante et fatale. L’évolution hépatique mène après quelques années à la cirrhose chez la majorité des enfants et à une insuffisance hépatique chronique. Jusqu’à 37 % des patients de plus de deux ans sont atteints de carcinome hépatocellulaire (2, 4, 6). On note une dysfonction tubulaire du rein (jusqu’à 80 %) accompagnée d’une perte accrue de phosphate dans les urines et d’un rachitisme (jusqu’à 40 %). La dysfonction glomérulaire (<80 mL/min/1,73 m2 chez 50 % des patients) mène à une insuffisance rénale chronique à l’adolescence ou chez le jeune adulte (2, 4, 6) . Enfin, jusqu’à 40 % des patients présentent des crises neurologiques réversibles qui se manifestent par des périodes de douleurs intenses aux jambes. En plus des paresthésies douloureuses, les patients peuvent être frappés d’une paralysie complète qui nécessite une ventilation mécanique. La récupération est toutefois possible. Jusqu’à 10 % des décès sont causés par les crises neurologiques (2, 4, 6).
Légende:
Phé: phénylalanine, Tyr: tyrosine.
Schéma métabolique la phénylalanine et la tyrosine proviennent de la diète ou sont libérées par les tissus en période de catabolisme telles les infections. La tyrosine est convertie en 4-hydroryphénylpyruvate (pHPPP) par la tyrosine aminotransférase (Tyr aminotransférase). Le pHPP dioxygénase, qui est inhibé par le NTBC, catalyse la conversion de pHPP en homogentisate. L’homogentisate oxydase amène la transformation d’homogentisate en maléylacétoacétate (MAA). Le MAA isomérase produit le lismarylacétoacétate (FAA). L’enzyme déficiente dans la HT1, le fumarylacétoacétate hydrolase (FAH), catalyse la dernière étape de la dégradation, à partir de laquelle les produits passent dans le métabolisme énergétique.
Physiopathologie: la FAH est l’enzyme dont la déficience est responsable de la HT1. Le MAA et le FAA ont des caractéristiques chimiques qui rappellent l’hépatotoxicité et sont actuellement à l’étude comme cause des problèmes hépatorénaux chez les patients atteints d’HT1. Le MAA et le FAA sont labiles et ne sont pas détectables dans les échantillons biologiques des patients. Un dérivé de ces composés, le succinylacétone (SA), est stable. Il sert de marqueur diagnostique spécifique et sensible pour l’HT1. Le SA a la propriété d’Inhiber fortement l’enzyme qui agit sur l’acide delta-aminolévulinique (ALA), qui catalyse une des premières étapes de la synthèse des porphyrines. Cette inhibition semble directement responsable des crises neurologiques de l’HT1, qui ressemblent cliniquement aux crises de la porphyrie aiguë. Le NTBC inhibe fortement le pHPPD, et réduit la formation d’intermédiaires en aval de ce site. En revanche, les taux de 4HPPD et de tyrosine augmentent chez les personnes atteintes d’HT1 traitées par le l’NTBC, à moins de respecter un régime limité en phénylalanine et en tyrosine.
En ce qui a trait au pronostic chez l’enfant non traité, il semble que l’âge du diagnostic de la maladie soit un meilleur prédicteur du pronostic que les symptômes. Le pronostic est moins sombre si la maladie est diagnostiquée après l’âge de deux mois (de deux à six mois :74 à 96 % de survie à deux ans) par rapport à un diagnostic plus tôt, soit avant l’âge de deux mois (29 % de survie à deux ans). Le pronostic est plus sombre en présence d’un carcinome hépatocellulaire (10). Les antécédents de l’HT1 au Québec sont moins graves qu’ailleurs dans le monde compte tenu du dépistage et de la prise en charge précoce des patients.
Approches thérapeutiques
Au Québec, le traitement diététique débuté dès le dépistage, soit vers la troisième semaine de vie, ralentit mais n’arrête pas la progression de la maladie. Il s’agit d’une diète restreinte en tyrosine et en phénylalanine (2, 6).
Le régime diététique doit être individualisé et supervisé par un spécialiste en génétique biochimique. Outre les restrictions ci-dessus, le régime comprend une diète fructovégétarienne stricte. Des produits spéciaux comme les pâtes hypoprotidiques et le lait pour enfants (ex.: Analog Xphen/TyrMD et Maxamaid X Phén/TyrMD de S.H.S., Tyrex-2MD, Tyromex-1MD de Ross, Tyr IMD et Tyr 2MD de Milupa, et 3200 ABMD de Mead Johnson) sont offerts aux patients partout au Canada par l’intermédiaire de la Banque canadienne des aliments(11).
De plus, il faut éviter de consommer de l’aspartame, un substitut de sucre contenant de la phénylalanine. Il faut notamment exclure les boissons gazeuses réduites en calories ou les médicaments ou suppléments vitaminiques pouvant en contenir. Ainsi, l’alimentation repose sur un régime strict établi de concert avec une diététiste, comprenant notamment des céréales, des fruits, des pâtes et des légumes. Une telle diète permet une croissance et un développement normal de l’enfant.
La transplantation hépatique, pratiquée depuis les années 80 chez les patients atteints d’HT1, guérit la maladie hépatique et prévient les crises neurologiques. L’effet de la greffe hépatique sur la maladie rénale est encore à l’étude(12). Il s’agit d’une chirurgie majeure ayant une morbidité et une mortalité non négligeables et nécessitant un traitement immunosuppresseur à vie (c.-à-d. cyclosporine, azathioprine, etc.). Le taux de survie global de la cohorte de patients transplantés d’un foie à l’Hôpital Sainte-Justine est de 80,5 % à 10 ans. Il est supérieur chez la cohorte de patients atteints d’HT1. D’après une évaluation économique menée à l’Hôpital Sainte-Justine en 1992-1993, une greffe hépatique coûte environ 114000$ pour l’an 1, excluant les coûts de garde au laboratoire, au bloc opératoire et l’appui d’une infirmière bachelière qui doivent être amortis sur l’ensemble des greffes hépatiques (13). On observe une augmentation du taux de survie et une baisse des coûts de la transplantation à cause des améliorations techniques au cours de la dernière décennie.
Outre la diète, le traitement d’appui inclut le traitement des infections, des crises neurologiques, des problèmes rénaux et des troubles hépatiques. On doit traiter de façon énergique les infections qui peuvent précipiter les crises hépatiques. il faut aussi prévenir le catabolisme en procurant un apport énergétique suffisant, soit un minimum de 140 à 160 cal/kg/jour. Habituellement, on interrompt l’apport de tyrosine et de phénylalanine durant 24 à 48 heures. L’absence de réponse thérapeutique peut mener exceptionnellement à une greffe hépatique urgente. Dans le cas de crises neurologiques, on peut atténuer la gravité de la douleur en utilisant des narcotiques. Un apport en glucose peut contribuer à limiter la production d’acide delta-aminolévulinique (ALA); il faut aussi ajouter les mesures d’appui à l’hypertension, l’hyponatrémie, l’hypokaliémie et l’hypophosphatémie. On doit éviter les traitements susceptibles d’exacerber la porphyrie. Avant la commercialisation du NTBC, on a tenté d’utiliser l’hématine pour limiter l’accumulation de l’ALA liée aux crises neurologiques. Par exemple, on a administré de l’hématine à raison de 3 mg/kg IV pendant cinq jours chez un bébé âgé de 21 mois dans le but de supprimer l’ALA synthase (première étape dans la synthèse de l’hème)(14) . Une supplémentation en vitamine D et en phosphates est parfois requise(2).
Tableau I
Résumé des essais cliniques du NTBC
Auteur année (référence) |
Devis | patients (âge) |
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Lindstedt 1992 (15) |
NTBC 0,1 à 0,6 mg/kg/jr en 2 à 3 doses durant 7 à 9 mois |
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Gibbs 1993 (17) |
NTBC 0,6 mg/kg/jr en une dose 3 mois amorcé à l’âge de 5 ans 6 mois |
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McKiernan et al. 1994 (18) |
(24 mois) |
NTBC 0,6 mg/kg/jr |
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Burlina 1995 (19) |
(24 mois) |
NTBC 0,6 mg/kg/jr amorcé à l’âge de 2 ans 6 mois et utilisé pendant 24 mois |
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Bird 1995 (20) |
(1,9 mois) 1 garçon (1,7 mois) |
NTBC 0,6 mg/kg/jr en 2 prises durant plus de 24 mois |
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Holme Lindstedt 1995 (22) |
46 chercheurs 15 pays NTBC 1mg/kg/jr q 12 heures durant plus de 24 mois |
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Pronicka 1996 (21) |
(5 mois) 1 fille (5 ans) |
NTBC 0,6 à 0,9 mg/kg DIE + vitamine D, bicarbonate de sodium |
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Groupe québecois de l’étude sur le NTBC(a) |
NTBC 1mg/kg/jr en 2 prises q 12 heures + diète |
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Légendes
SA: succinylacétone, SAA: succinylacétoacétate, Delta-ALA: delta aminolévulinate
Notes:
1. étude ouverte
2. étude multicentrique
a. données préliminaires non publiées, l’Hôpital Ste-Justine, en collaboration avec des chercheurs de génétique médicale et quatre autres centres hospitaliers( c-à-d. Chicoutimi, CHUQ, Pavillon CHUL et CHUM, Pavillon St-Luc et Hôpital de Montréal pour enfants), monitore le traitement d’une cohorte de 25 patients encore traités, ( voir à la fin du texte pour liste des chercheurs et des collaborateurs).
Pharmacologie et mécanisme d’action
Le NTBC inhibe l’enzyme 4-hydroxyphénylpyruvate dioxygénase (pHPPD) qui catalyse la transformation du 4-hydroxyphénylpyruvate en homogentisate (figure 1). Le blocage a pour effet de réduire les concentrations plasmatiques et urinaires de succinylacétone et, par extension, celles du fumarylacétoacétate (FAA) et du maléylacétoacétate (MAA). De plus, cette inhibition cause une augmentation des taux plasmatiques de tyrosine et d’autres métabolites (15). La dose létale observée chez le rat et la souris est de 500 mg/kg(2, 7, 15).
Pharmacocinétique
Il y a une pénurie remarquable d’études publiées sur la pharmacocinétique du NTBC. Des essais menés sur trois formulations de NTBC (IV, liquide et suspension) chez le rat indique que le médicament a une demi-vie plasmatique d’environ 9,5 heures (2). Des données non publiées suggèrent une demi-vie de 25-30 heures chez l’humain(16). La biodisponibilité de la forme liquide et de la suspension sont respectivement de 90,6 % et 100 %(2).
Essais cliniques
La documentation scientifique concernant le NTBC repose sur quelques observations médicales et le rapport préliminaire d’une étude internationale (15, 17, 22). Ces résultats limités démontrent néanmoins une efficacité supérieure aux autres recours utilisés jusqu’à maintenant. L’étude internationale a été menée auprès de plus de 200 patients atteints de tyrosinémie de type I. Une proportion importante des patients inclus dans l’étude ont été diagnostiqués tardivement ou présentaient une atteinte hépatique importante. Chez ces patients, le NTBC est utilisé davantage à titre palliatif ou en attente d’une transplantation hépatique. Néanmoins, aucune crise hépatique ou neurologique n’est survenue chez les patients traités par le NTBC. La dose utilisée dans l’étude internationale est passée à 1 mg/kg/jour bien que certains enfants aient reçu initialement une dose de 0,6 mg/kg/jour. L’amélioration clinique a été variable et parfois partielle chez les patients pour qui le traitement a été instauré durant une crise. Bien que la documentation clinique soit incomplète chez plusieurs patients, les résultats biochimiques montrent une diminution rapide et marquée du taux de succinylacétone urinaire et une augmentation de la concentration plasmatique de tyrosine. Cette étude internationale ayant fait l’objet d’une publication intérimaire sera prochainement publiée. Le tableau I résume les cas signalés et l’étude internationale.
Au Québec, contrairement à la cohorte internationale, la tyrosinémie est dépistée et traitée chez le nouveau-né asymptomatique. Un groupe de médecins et de chercheurs de cinq centres québécois participent depuis quatre ans à une étude regroupant 25 patients non greffés souffrant d’HT1. Au 1er janvier 1998, l’étude québécoise détient une expertise de 619 mois-patient, soit un suivi médian de 19,2 mois par patient. Les patients sont âgés en moyenne de 4,9 ans. Grâce à l’expérience clinique et à la collaboration étroite des membres du groupe, un profil clinique biochimique détaillé du traitement à court et moyen terme a corroboré et raffiné les observations de Lindstedt et coll.(22). On note une réduction partielle marquée de la concentration de succinylacétone urinaire au cours des premières heures de traitement. Les taux de tyrosine augmentent par rapport aux valeurs observées avant l’instauration du traitement par NTBC. L’observation clinique la plus remarquable est l’absence totale de crises hépatiques et neurologiques graves ou apparentes. Les résultats de l’étude québécoise ne laissent aucun doute sur l’efficacité clinique du NTBC à court et moyen terme pour la prévention des crises aiguës et l’amélioration marquée de la qualité de vie des patients et des parents. L’analyse détaillée des résultats québécois est actuellement en cours.
Effets indésirables
Le NTBC est bien toléré (2, 4) Une thrombocytopénie transitoire a été notée chez quatre patients (22). Des problèmes oculaires transitoires ont été signalés chez sept patients, notamment de la photophobie, un voile cornéen et des érosions cornéennes qui rappellent les symptômes de la tyrosinémie de type II (22, 23). Parmi ces cas, on a décelé la présence de cristaux dans la cornée chez un patient québécois (manuscrit en préparation). Les cristaux semblent davantage liés au taux plasmatique de tyrosine qu’au taux de NTBC (2, 22).
Monitorage
Au cours d’une période initiale de surveillance intense, on évalue la réponse biochimique au traitement et on recherche la possibilité d’effets indésirables ou de réactions idiosyncrasiques au NTBC. Par la suite, le patient est suivi quatre fois par année. Le tableau II fait le point sur les éléments clés du monitorage du NTBC dans l’étude québécoise.
Interactions médicamenteuses
Chez les patients non traités ou qui suivent uniquement une diète, il faut utiliser avec prudence les médicaments hépatotoxiques et néphrotoxiques ainsi que ceux pouvant induire la porphyrie (ex.: barbituriques, carbamazépine, phénytoïne, sulfamidés, acide valproïque)(24). Chez les patients traités par le NTBC, aucune interaction médicamenteuse n’a été signalée jusqu’à maintenant.
Présentation et coût du produit
La posologie recommandée par le fabricant est de 1 mg/kg/jour divisée en deux doses aux 12 heures. La répartition n’est pas forcément égale compte tenu des différentes formes posologiques. Actuellement, la dose ne peut être titrée selon la réponse métabolique (2). Le médicament, formulé dans les laboratoires d’Apoteksbolaget en Suède, est offert en capsule gélatineuse de 2,5 et 10 mg. Une formulation liquide est actuellement en développement. Avant 1996, les capsules étaient fabriquées par le département de pharmacie de l’Hôpital Sainte-Justine à partir d’un stock en poudre fourni par des chercheurs suédois. Le médicament est stable de 6 à 12 mois à température ambiante. Des études sont en cours pour vérifier la stabilité à 24 mois. Au besoin, la formulation peut être saupoudrée sur les aliments inclus dans la diète (2). Notons que la préparation n’a pas de goût et que la formulation actuelle est bien acceptée par les enfants.
TableauII
Monitorage des patients traités par le NTBC selon le protocole québecois
Paramètre | Données concernant le traitemement au NTBC |
Efficacité |
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Effets indésirables |
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Principaux tests de laboratoire |
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Le NTBC coûte de 4,50 à 5,50 $CA par milligramme selon la formulation. Le prix en dollars canadiens varie selon le taux de change. La cohorte de 25 patients actifs qui ont pris part à l’étude québécoise ont un âge moyen de 4,9 ans et un poids moyen de 18,7 kg (écart de 4 à 45 kg); ils reçoivent en moyenne 18,6 mg/jour de NTBC. Le coût annuel par patient varie de 7 500 $ à 70000 $CA (patient de 45 kg). Le coût annuel projeté au 1er janvier 1998 pour la cohorte québécoise est d’environ 820 000 $ et l’augmentation croissante des coûts dépend de la prise de poids des patients et de l’ajout de nouveaux cas dépistés. Aucune étude pharmacoéconomique n’a porté sur la tyrosinémie jusqu’à maintenant. L’Hôpital Sainte-Justine et le Ministère de la Santé et des Services sociaux discutent actuellement des modalités de financement du traitement de cette maladie et des recommandations seront proposées dans le cadre de la politique du médicament pour faciliter l’accès aux médicaments orphelins. Les principaux conseils destinés aux patients et aux parents sont présentés ci-dessous.
Conclusion
L’HT1 est une des maladies orphelines qui présente un intérêt pour les pharmaciens québécois parce qu’elle est plus fréquente au Québec que partout ailleurs dans le monde; en outre, elle est dépistée à la naissance et prise en charge par un réseau de médecins généticiens à l’échelle de la province. Il s’agit d’un exemple intéressant des enjeux observés sur le marché des médicaments orphelins.
Le NTBC est le médicament de premier recours pour le traitement de l’HT1 à court et à moyen terme puisqu’il prévient ou réduit substantiellement le risque de crises aiguës et qu’il n’existe aucun autre recours moins coûteux. Les données limitées concernant la commercialisation soulèvent d’importantes questions de recherche que la cohorte québécoise pourra contribuer à résoudre : quels sont les effets à long terme du NTBC sur la progression de la maladie et sur le développement de l’enfant? Le NTBC peut-il prévenir l’hépatocarcinome? Quels sont la dose et l’intervalle posologique optimaux?
Au Québec, à l’heure actuelle, les soins et services pharmaceutiques (achat et distribution) sont effectués par le département de pharmacie de l’Hôpital Sainte-Justine. Les enfants atteints de tyrosinémie ne sont généralement pas hospitalisés et consomment vraisemblablement d’autres médicaments dans leur milieu de vie. Le pharmacien de l’Hôpital Sainte-Justine est susceptible de contacter les pharmaciens communautaires pour connaître le dossier pharmaceutique complet des patients. De même, les pharmaciens communautaires sont invités à contacter le pharmacien d’établissement en cas d’anomalie (ex.: effet indésirable à la suite d’une interaction avec un autre médicament). Une connaissance de la maladie, du médicament et du contexte peut améliorer les soins et services pharmaceutiques ambulatoires offerts, notamment lorsque ces enfants consomment d’autres médicaments.
Le NTBC
Conseils aux patients et aux parents
- À court et moyen terme, le NTBC est le médicament de premier recours pour le traitement de la tyrosinémie de type I. Il peut réduire ou même éliminer les risques de crises hépatiques et neurologiques. Le NTBC agit par l’inhibition sélective d’une étape de la dégradation de la tyrosine, ce qui diminue les composés qui peuvent être nocifs pour le foie.
- Les effets du NTBC à long terme restent à définir, d’où l’importance d’un suivi strict et de la participation à l’étude d’évaluation en cours.
- Le NTBC peut être pris avec ou sans nourriture; en cas d’oubli d’une dose, on peut prendre la dose s’il reste plus de la moitié de l’intervalle thérapeutique, sans quoi on reprend l’horaire régulier à la dose suivante.
- Avisez votre médecin Si vous notez les symptômes suivants douleurs ou picotements aux yeux, en particulier durant l’exposition à la lumière, douleur abdominale, douleurs aux membres inférieurs, saignements.
- Pour tout problème concernant le médicament lui-même, contacter Mme Marie-France Goyer, pharmacienne de l’Hôpital Sainte-Justine, au (514)345-4603.
- Le NTBC doit être conservé dans un endroit sécuritaire, à température ambiante et hors de la portée des enfants.
Les maladies orphelines frappent un nombre limité de patients et plusieurs sont diagnostiquées et traitées en pédiatrie. Le suivi systématique d’une cohorte de patients atteints d’une maladie rare et le regroupement des soins et services pharmaceutiques en un site favorisent la concertation des intervenants et le développement d’une stratégie visant le traitement des maladies orphelines au Québec.
Au Canada et au Québec. il n’existe aucune loi ou politique gouvernementale favorisant le développement, la commercialisation et le financement des médicaments orphelins. Aux États-Unis, une loi (Orphan Drug Act) favorise le développement des molécules thérapeutiques pour les maladies rares en accordant notamment un droit d’exclusivité de sept ans et des crédits d’impôt. Le prix des médicaments orphelins est très élevé compte tenu de cette exclusivité. Toutefois, il faut se rappeler que sans cette loi, plusieurs molécules ayant une efficacité thérapeutique évidente ne seraient probablement jamais commercialisées pour de si petits marchés.
Compte tenu des tendances actuelles visant à encourager le développement pharmaceutique au Canada et au Québec en particulier, on peut s’attendre à ce que le dossier des médicaments orphelins comme le NTBC progresse.
Les auteurs tiennent ô remercier Mme Marie-France Goyer et M. Jean-Marc Forest, pharmaciens de l’Hôpital Sainte-Justine, qui ont collaboré à la formulation initiale de même qu ‘aux services pharmaceutiques offerts aux patients. Ils tiennent à remercier
également A. Capua, Y Lefebvre, L. Longtin, K. Phommarinh, M.M. Quach, D. Régimbald, le Groupe d’aide aux enfants tyrosinémiques du Québec (G.A.E.T. Q.). Guillaume Fleury, étudiant en pharmacie de 4° année et les pharmaciens du centre d ‘information pédiatrique de Sainte-Justine pour la recherche documentaire.
Cette chronique est sous la responsabilité de Nathalie Marcotte, B. Pharm., M.5c. et de Josée Manineau, B. Pharm., M.Sc.
Version finale soumise le 2février 1998 et révisée par le Dr Rachel Laframboise. membre du Groupe québécois d’étude sur le NTBC et Nathalie Marcotte.
Pour toute correspondance:
- Jean-François Bussières, MSc, M. B.A.. FCSHP, Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal – professeur invité
Chef du département de pharmacie Hôpital Sainte-Justine
3175, ch. de la Côte Sainte-Catherine Montréal (Québec)
H3T 1C5
Tél (514) 345-4603
Téléc. (514) 345-4820
Courrier électronique: bussiere@aei.ca
- Grant Mitchell. MD
Coordonnateur du groupe québécois d’étude sur le NTBC
Service de génétique médicale
Hôpital Sainte-Justine
Groupe québécois d’étude sur le NTBC
Le groupe est composé des individus suivants :
- J. Larochelle, MD (Hôpital de la Sagamie)
- C. Scriver, MD, E. Treacy, MD (Hôpital de Montréal pour enfants),
- D. Fenyves, MD (CHUM, Pavillon Saint-Luc).
- F. Alvarez. MD, L. Dallaire, MD, J. Dubois, MD, C. Dupuis Ph.D., F. Faucher, MD,
- M. Lambert, MD, S. Melançon. MD, G. Mitchell, MD, K. Paradis, MD, V. Phan, MD, A. Rasquin, MD (Hôpital Sainte-Justine),
- A. Grenier. M.Sc.,
- R. Laframboise, MD (CHUQ, Pavillon CHUL).
- K. Raymond, MD, P. Rinaldo. MD, Ph.D (YaleUniversity School of Medicine, Connecticut É.-U.),
- E. Holme, MD, S. Lindstedt, MD (Sahlgren’s Hospital, Gothenberg, Suède).
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