Est-ce éthique de ne pas utiliser les tests de dépistage génétique comme stratégie de santé publique?
La dernière décennie a été très prolifique en matière de découverte génétique. On a produit des marqueurs capables de reconnaître plusieurs anomalies génétiques. On retrouve ainsi des tests de dépistage pour la fibrose kystique, la dystrophie musculaire et la tyrosinémie pour ne nommer que celles-là. Ces marqueurs sont très efficaces en autant que l’on en fasse usage.
Retenons, que le plus grand inconnu de la génétique et le plus à craindre est celui qui se cache derrière la récessivité. On ne le voit apparaître aussitôt que les conditions gagnantes sont réunies. Les maladies récessives ont une incidence connue, mais leur apparition est presque toujours imprévisible ! En ce qui concerne la statistique pas de problème 1/1000 ou 1/400 il est très facile de vérifier. Là où je vous mets en garde, c’est de prédire où et quand nous aurons une manifestation récessive ! Ça, c’est la vraie question !
L’éthique nous rappelle que le génie génétique progresse à une vitesse exponentielle, et qu’en tout temps il doit garantir le droit à la confidentialité des usagers, la non-malfaisance et la bienfaisance. Le génie génétique a aussi le devoir de ne pas susciter d’inutiles espoirs envers des solutions qui trop souvent sont décevantes. Les exemples, en matière de déception, sont nombreux.
Les antibiotiques devaient régler tous les maux ! Aujourd’hui nous avons certaines maladies qui y résistent de plus en plus ! On raccroche aussi l’éthique à tout ce qui est recherche génétique, puisque celle-ci a une grande portée sur la qualité de vie des personnes, qu’elles soient jeunes ou vieilles. L’éthique et la morale sont de bonnes voisines. La première est plus universelle et moins religieuse. Elle ne défend pas moins les droits des personnes. Plusieurs questions sont soulevées en matière génétique et surtout quand il s’agit de recherche et d’application de la recherche génétique.
Quand je disais plus haut que l’on doit créer des conditions favorables il faut faire une approche multidimensionnelle ! Je prendrai en exemple la région du SLSJ où plusieurs maladies héréditaires se sont manifestées à travers le temps avec une incidence et une prévalence qui dépassent de loin la moyenne nationale. Je vous cite ici des étapes qui n’en sont pas mais qui tracent tout de même un historique vraisemblable.
- Premièrement, le problème doit se présenter pour que l’on s’y intéresse. Il faut que la situation soit présente, et suffisamment pour susciter un questionnement. Il faut que des gens, des enfants, meurent en nombre suffisant pour que le problème en devienne un de santé publique. Plusieurs enfants sont morts en bas âge sans raison apparente ! Pour la tyrosinémie seulement, au SLSJ, on dénombre 135 morts d’enfants.
- On cherche le ou la coupable et on identifie, la fibrose kystique, la tyrosinémie de type I, l’acidose lactique, l’hyperlipidémie… On met des visages sur chaque maladie. La deuxième condition est ainsi remplie.
- Les gens sont touchés, on a des craintes. On se rend compte que plusieurs personnes de l’entourage sont concernées. La maladie touche les gens de toutes les classes sociales. Ça n’arrive plus qu’aux autres c’est maintenant nous ! La maladie est dans notre famille. Le questionnement se fait, l’inquiétude naît. Qu’est-ce qu’on a fait pour mériter un tel fléau?
- Les gens veulent de l’information, mais ils demeurent incrédules. Dans bien des cas, ils réussissent même à oublier ce qui est arrivé dans leur propre famille, de même que le nom de la maladie. Il faut informer les gens. Il faut enseigner l’hérédité et permettre aux jeunes de connaître la loi de Mendel et les enjeux de la génétique humaine. Au SLSJ, Coramh (corporation de recherche et d’action sur les maladies héréditaires) informe la population grâce à un programme spécifique pour l’information sur les maladies héréditaires. Coramh rencontre des groupes sociaux, des groupes d’élèves afin de les renseigner sur la génétique et les principales maladies héréditaires régionales.
- Par la suite il faut identifier la source de l’anomalie, pour pourvoir la combattre, la traiter, la faire disparaître. Pour cela on met au point des traitements et on vérifie leur efficacité. On met au point des tests génétiques pour découvrir le gène défectueux, test de porteurs, test d’amniocentèse. Ainsi, après plus de 35 ans d’effort on aboutit à des traitements palliatifs et/ou curatifs : greffe, médication et diète pour améliorer la qualité de vie des personnes atteintes.
- Le test de porteur, il faut le valider avec une population cible et une population témoin. Le temps passe et quelques milliers de dollars plus tard on obtient un test fiable et même très fiable. Il ne reste qu’à le rendre disponible et à faire du dépistage!
- Il faut aussi parler de planning familial. La façon de le faire est simple. Les couples et les personnes concernées rencontrent un conseiller ou une conseillère en génétique qui présente toutes les alternatives de procréation et de traitement qui concerne la maladie dépistée. De rendre un test disponible c’est une chose, on se doit aussi d’en supporter les conséquences sur la santé publique.
- C’est là qu’interviennent les groupes de soutien tel que le GAETQ, celui de l’acidose lactique, de la fondation des maladies du foie qui s’occupent des parents et des enfants. Des groupes qui donnent de l’information d’égal à égal avec un vécu sur le terrain. Après 15 ans d’existence, le GAETQ regroupe maintenant 165 personnes dont 55 enfants atteints. Le groupe informe et supporte les parents.
- J’ai identifier ici 8 conditions préalables à une démarche sérieuse. Il en manque encore d’autres j’en conviens ; puisque toutes les ressources devraient être centralisées dans un même service tel que des Cliniques de Maladies Métaboliques. Une fois le cycle complété, le public a la possibilité de connaître et d’agir en connaissance de cause.
Certains, ne sont pas prêts à recevoir le résultat d’un dépistage génétique. D’autres le refusent carrément. Chacun a droit à sa liberté. Pourtant, de savoir fait de nous des gens plus responsables de leur choix de procréation. Ça fait aussi moins de déception, moins de découragement, une cause de moins pour le divorce ; c’est aussi moins de déchirement, moins de culpabilité.
Vous savez, quand nous parlons de la santé nous excluons la maladie, et naître en santé est un grand privilège que nous prenons pour acquis. Pour nous tous, il est évident qu’un enfant doit naître en santé physique et mentale. Pourtant ce n’est pas toujours le cas. Nous retrouvons autant de maladie, que nous avons d’organe dans notre corps et même autant de type de maladie que nous avons d’acides aminés et encore…
La génétique ou encore la loterie génétique se manifeste à chaque conception et les tirages sont plutôt gagnants ; mais parfois ils sont perdants. Les parents s’y aventurent sans trop de crainte. On s’inquiète du caractère, de la couleur des yeux, des cheveux, d’une infirmité physique mais pour le reste ça va. Vous voyez que la conception n’est pas pour moi une mince affaire. Il fut un temps où l’on cachait les enfants difformes et où les enfants atteints de maladies métaboliques décédaient dans les premiers mois de vie.
À la manière de Thomas, dans la passion du Christ, nous sommes très incrédules. Nous ne croyons à la maladie que si elle est en face de nous. On trouve même le moyen de l’amenuiser en rejetant la faute sur des comportements ou des attitudes qui auraient produit sa manifestation. Nous pensons aussi que ce n’est pas pour nous mais pour les autres. À titre d’exemple, plusieurs continuent de fumer en sachant très bien qu’ils courent un risque grave de développer un cancer du poumon , mais ce n’est pas pour eux !
La santé publique a de grandes responsabilités : elle doit guérir, prévenir, enseigner, pallier, planifier et offrir des services compétents et adéquats. Elle a beaucoup de ressources à sa disponibilité ; mais il lui manque encore l’argent. La volonté n’est pas encore à la prévention mais plutôt à la politique. Il est bien vu de faire de la recherche et d’obtenir des résultats. 1% du budget pour la recherche c’est très un objectif louable. Mais quand la découverte est faite, quand la solution existe, pourquoi , on n’en voit pas les applications ? Peut-être parce que cela concerne que peu de personnes ou peu d’enfants? Peut-être aussi que ce n’est le cas que de quelques maladies orphelines, disséminées qui n’a peu ou pas d’impact sur la politique et les décideurs?
La maladie est bien réelle, la recherche donne des résultats, les dérèglements génétiques existent. Il faut utiliser les tests de dépistage génétique comme stratégie de santé publique. Si on ne le fait c’est un manque flagrant d’éthique !
Gérard Tremblay, Président du Groupe aide aux enfants tyrosinémiques du Québec (GAETQ). Communication faite au colloque de la Santé Publique tenu à Montréal en mai 1999